« Aix en Provence TGV – 5 minutes d’arrêt ». Au son monocorde à l’accent si prononcé de cette annonce TGV, je sais que je suis dans le Sud. Quelques heures me séparent de mon rendez-vous, quelques heures bien pénibles car la rencontre risque de s’avérer tendue. Je me décide à explorer le centre de la ville et me dégourdir les jambes tel un athlète avant le combat. La ville est claire, la journée belle, j’arpente les ruelles et découvre les places. L’appréhension de la rencontre me serre la gorge mais étonnamment aussi, me creuse l’estomac.
Nombreux sont les cafés qui bordent cette place où je me trouve mais c’est le plus discret, au coin d’une de celles-ci où j’observe le plus dense des va-et-vient.
Aixoises grimées, parées de bijoux de pacotilles clinquants et bruyants, jeunes ados en pleine école buissonnière, ménagères pressées mais affamées, anciens prenant le temps, je m’approche avec curiosité de cet antre sans prétention. Oui, je suis bien dans le Sud, mais plus au Sud encore, j’arrive en Tunisie. La Tunisie d’il y a quelques années. Un petit autel fait de quelques chaises et tables en formica vert pastel, d’étagères ressemblant à de vieilles vitrines de parfumeries, un miroir un peu voilé, un comptoir sommaire. Et derrière ce comptoir, Mohktar aux commandes. Les yeux rieurs et les mains rudes, discret et accueillant, son accent encore bien présent et sa voix chantante trahissent ses origines et son passé. Il prépare ses gâteaux depuis bientôt 15 ans dans sa caverne d’Ali Baba, où les makroudh, cornes de gazelle et autres loukoums s’entassent tels des trésors de pâtisserie.
Les dames fardées savourent leur thé à la menthe, les anciens sur les tables accoudés sont en plein conciliabules, leur thé refroidi depuis longtemps. Deux gosses sur le côté, un peu serrés se goinfrent avec une délectation à peine feinte de roses des sable et de zlabia. Cette ambiance d’un temps qui s’est arrêté m’émeut et me fait envie. Mon estomac cède à ma raison devant cet amoncellement de miel, d’amandes, de pates feuilletées et brisées. Les magazines pour jeunes demoiselles en mal de régime me brûleraient sur un bûcher de faire ce que je m’apprête à faire, mais qu’importe, une place se libère, je jubile et m’installe. Ce baklawa suintant de calories et luisant de miel sera pour moi tout comme ce thé à la menthe si finement parfumé.
Loin, bien loin de mon combat programmé, voilà une parenthèse orientale qui, même si elle me leste de quelques kilos est une véritable bouffée d’air pour mon esprit. Je ressors du Carthage rassérénée et repue prête à conter les Mille et Une Nuits au client qui m’attend.
Le Carthage14, rue Paul Bert
13100 Aix en Provence
tel. 04 42 23 06 20