« Toucan est le nom vernaculaire de 12 espèces d’oiseaux de l’ordre des Piciformes et de la famille des Ramphastidés, proches des araçaris et des toucanets qui, dans le langage courant, sont aussi appelés toucans (cf.wikipedia) ». C’est aussi le nom de ma dernière trouvaille gênoise, non loin du quartier des chantiers navals, hors du centre ville.

Gargote du bord de route de prime abord. Exposition quasi pathologique de dessins, objets et autres représentations iconographiques inclassables, surtout. Des toucans, de formes et d’aspects différents ornent chaque centimètre des murs de ce lieu. D’un pas décidé, je précède donc mon client, prête à sortir ma machette telle une Indiana Jones dans la jungle italienne, au cas où. Il fait chaud au Toucan, les vapeurs des pâtes cuisant dans l’eau bouillonnante et le feu vif sous les casseroles rappellent effectivement le degré d’humidité de la jungle. Ceci explique peut-être cela.

Très vite, me voilà rassurée. La pathologie est bien là mais les parfums généreux émanant de la cuisine à vue, me la font oublier. On nous présente le menu, certainement parce que mon client a le teint pâle et que je lui parle en français, car la clientèle d’habitude sait déjà ce qu’elle souhaite manger.

Dîner stratégique oblige, je laisse mon invité décider des mets de la soirée.

« Spaghetto al nero di seppia per il Signore ?! » nous propose notre hôte, c’est la spécialité du chef semble-t-il.

Mon sang ne fait qu’un tour.

Si je suis -depuis peu- devenue adepte des bulots, bigorneaux et autres mollusques, je n’ai pas encore tout osé des produits de la mer. Je prétexte la préservation de la faune marine.

Suis-je capable d’avaler un plat entier à l’encre de seiche ? J’éprouve une forme de dégoût intense et tente une conversation sur les méfaits de la pêche intensive à mon client pour le dissuader. Mais il salive d’avance à l’idée de les déguster. Il argumente même « c’est le thon rouge et non la seiche, qu’il faut protéger ! »

Face à ses yeux tourbillonnant, ses sourcils froncés et sa mine critique quand il me voit hésiter, je me plie à son choix espérant toutefois signer mon contrat à la fin du dîner. Il regarde le chef en haussant les épaules, atterré, comme pour signifier le ridicule de mon hésitation. Comme si chacun buvait tous les matins un verre d’encre de seiche au petit déjeuner. Je ne dis mot et consens.

L’assiette arrive, fumante. Le parfum est chavirant, c’est vrai. Le mélange des couleurs est artistique, j’avoue.

Première bouchée, je goûte, la peur au ventre et en apnée.

Ô bonheur, jouissance culinaire, trouvaille indicible, je n’ai pas de mots pour exprimer le plaisir et les saveurs qui se développent dans ma bouche. D’une finesse inégalée, d’un goût absolument exquis, je suis conquise par ce plat. Mon client se régale. Et moi je savoure, muette de surprise.

Plutôt que me venger de son attitude condescendante, je préfère le remercier de m’avoir incitée à choisir ce plat. Et le laisse volontiers me regarder, paternel et compatissant, sourire satisfait d’encre de sèche agrémentant joliment ses lèvres comme chaque interstice dentier. Je ris intérieurement de le voir ainsi fardé.

Le Toucan, pour son service irréprochable et agréable. Pour sa cuisine savoureuse, délicate et inventive. Mais surtout pour ses spaghetti à l’encre de seiche aux conséquences aussi imprévues que jubilatoires.

Le Toucan, sans hésiter.

 

Il Tucano 2
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