Heureux. Soulagés. Impatients. Enragés. Eblouis. Attendus. Attendris. Envieux. Blessés. Déçus. Apaisés. Fatigués. Enervés. Pressés. Soulagés. Agacés. Soucieux. Rassurés. Joyeux.
Costume foncé, démarche rapide, son attaché case au bout d’une main endolorie par le poids de son PC, il a la mine renfrognée et le teint blafard, surtout vers 6h30. Il marche vite, ne voit personne, bouscule tout le monde et ne s’excuse jamais. Pendant qu’il fonce, il se dit qu’il n’a plus 20 ans et devrait arrêter l’alcool en semaine, qu’il ne sait plus où est son quai, que son blackberry l’a lâché, que sa secrétaire n’est pas encore au bureau et qu’il va encore devoir préparer son compte-rendu sur sa tablette. En courant, il pense à ce soir. Penser à acheter un bouquet. Penser à être à l’heure. Bien penser à le lui souhaiter. Oui c’est ça, ne pas oublier de le lui souhaiter. Surtout, ne pas oublier de le lui souhaiter.
Direction Paris. Aller-retour journée.
Elle cherche, se retourne, s’arrête, repart, s’appuie sur un poteau, nonchalamment composée, se plonge dans son téléphone avec un air faussement détaché. Elle se ronge les ongles, fait les cent pas, se repoudre puis se recoiffe, cheveux lâchés, puis attachés, puis de nouveau lâchés, petites ballerines aux pieds, un brin apprêté, juste assez pour avoir l’air naturellement jolie. Les coups d’œil répétés vers le quai numéro 2 ne trompent pas. Les coups d’œil répétés dans les vitrines non plus. Enfin, il arrive. Souriant et heureux. Il se presse vers elle, un peu gêné. Lui prend la main. Elle le regarde à peine, à peine surprise. Comme un rôle cent fois répété, elle prend sa mine insolente et son air détaché et part devant, seule. Et c’est comme une coureuse de fond en plein championnat qui prend la direction de la sortie. Traînant derrière elle un maudit compagnon.
Train régional. Aller simple. Modification du titre de transport. Aller-retour.
Enfin arrivée. Corps fourbu par les sièges de la classe éco, pieds gonflés par la pressurisation de la cabine elle se dit qu’il faudrait quand même qu’elle investisse dans ces bas de contention dont son médecin lui a parlé pour ses fréquents déplacements. Oui mais voilà, à moins de 30 ans, même pour sa santé, on se refuse à tout ce qui pourrait avoir un quelconque lien avec un âge où bas de contention rime avec gaine de maintien.
Elle attend, perd patience devant le tapis qui tarde à lui livrer ses bagages, dernier stade de la délivrance avant le retour à la maison.
Les bagages tournent, première fois. Elle repense énervée à son rendez vous de fin de journée, puis souffle fort, très fort sur son voisin de droite qui la pousse et lui écrase le pied quand il se place juste devant elle au moment où passe le trésor tant attendu.
Les bagages tournent, deuxième fois. On lui écrase l’autre pied. Elle rend. Loi du Talion oblige à 23h48, un jeudi soir. S’ensuit une confrontation visuelle électrique.
En un instant, où elle ne peut baisser son regard sur le tapis sous peine de perdre sa dignité, la valise passe, mais l’orgueil est sauf.
Les bagages tournent, troisième fois. Elle capitule.
L’orgueil attendra, la dignité aussi, elle court vers sa valise.
Vol International. Aller-retour semaine. Retard estimé 1h30 environ.
Dans les aéroports et dans les gares, se croisent et s’entremêlent des âmes et des sentiments où des situations naissent et s’éteignent quotidiennement. Jamais vraiment la fin, ni tout à fait le commencement, dans les aéroports et dans les gares, rien n’est définitif, tout est en transit.
WorkingNomade.