Tous les chemins mènent à Rome, mais j’ai d’abord dû faire une déviation par Fiumicino pour un client important. Fiumicino est une ville de périphérie. La ville de l’aéroport. Celle que l’on oublie car il n’y a aucune fontaine de Trevi. Celle que l’on dépasse à tout allure pour foncer vers la capitale. Je suis moi-même tentée de m’enfuir vers Rome pour déjeuner. Mais je laisse sa chance à cette petite ville où coule la fin du Tevere pour se jeter dans la mer. Je lui laisse sa chance parce que mon dernier client me demande « où vas tu manger ce midi? » Je lui réponds que je n’en sais rien. Que s’il connaît un petit restaurant, je veux bien rester. Face à son atelier, de l’autre côté du quai, il pointe de son doigt la Trattoria della Marina. « Vas là-bas, la pasta è buona! » Son ton est directif. Et convaincant.

Une cloche sonne comme dans une cour de récréation. Je vois des centaines d’ouvriers sortir pour déjeuner. Ils ont tous l’allure des acteurs néoréalistes que je chéris. Des visages marqués. Où chaque sillon sur les joues, chaque ride au creux des yeux raconte un événement de leur vie. Cigarette à la bouche évidemment. Je suis le mouvement et marche aux côtés de ces hommes en bleu.

La trattoria della Marina est située sur le port, coincée entre les chantiers navals et les bateaux de pêche. A peine poussée la porte de cet établissement, je suis propulsée dans le quotidien des romains. Des hommes d’affaires et des vieux. Des ouvriers et des enfants. On y parle fort. On y mange à pleine bouche.

La cuisine est intergénérationnelle et féminine avec aux fourneaux : les sœurs, les tantes, les belles-filles, les petites-filles. Des italiennes au regard sombre, aussi sombre que leurs chevelures soyeuses et un ton qui ne tolère aucun écart ! Elles s’activent en ronchonnant derrière les casseroles. Elles hurlent au poisson qui n’est pas celui qui était commandé ou bien au client qui demande un plat « sans gras ». Ici, pas de manière ou bien vous aurez à faire aux mamma !

Les tables aux nappes vichy et les serviettes épaisses me donnent la sensation d’être assise dans la cuisine de la famiglia.

Les gens du cru ont leurs habitudes. Qui sa place à la table que vous occupez et que vous devez instamment quitter. Qui sans même regarder le menu voit son met préféré arriver à peine installé. Et puis il y a aussi celui qui lit la Gazzetta dello sport et qui commente le match de la veille pour toute la tablée.

Spaghetti allo scoglio ou gnochetti aux cèpes et aux tellines, j’hésite. Je pourrais me damner pour ces plats. Je ne sais lequel choisir. La serveuse s’impatiente, commence à souffler. Puis file dans la cuisine en pestant. Quand elle revient, elle pose devant moi deux petites assiettes remplies de mes deux plats favoris ! Mammia mia, che buono ! Et comme c’est gentil.

Le patriarche de cette tribu veille comme un mafieux sur sa caisse et encaisse en claquant des doigts de manière rythmée sur sa machine enregistreuse. Il n’y voit plus grand-chose quand on lui amène la note mais connaît par cœur tous les prix des plats.

Lorsque je sors du restaurant, je me balade le long des quais. Il y a des pêcheurs qui font danser leurs mains sur les filets qu’ils reprisent, longs comme le Tevere. Contempler ces hommes travailler a quelque chose de poétique et nostalgique à la fois, comme un vieux film des années soixante, mais en couleur et en vrai.

 

Trattoria della Marina
140, Via Torre Clementina
00054 Fiumicino (RM)
Tel. +39 06 65047360